Voyage en Italie du Sud

Voyage en Italie du Sud

Ludovic Andri, 4e D

La campagne, plongée dans les ténèbres, était silencieuse. Les moutons dans leurs bergeries, les hommes dans leurs maisons, les chevaux dans leurs écuries, tous, veillés par Hostia, s’étaient enfuis au pays d’Hypnos. En mère protectrice, Séléné était encore en train d’illuminer les cieux de sa douce lueur crépusculaire, jouant le rôle de phare, sauvant les hommes d’une obscurité totale et impénétrable…

Car son frère, sur son char solaire, n’entamerait son voyage vers l’Orient, éclairant à son tour le monde de sa lumière -qui serait cette fois flamboyante et révélatrice- que dans quelques temps. Ce serait alors la huit-cent-trente-deuxième fois, jour pour jour, depuis la fondation de la Ville Eternelle1

Dit de manière autrement plus laconique, il faisait nuit.

             Une belle nuit sans nuages, certes, néanmoins froide, particulièrement en ces prémices du « 9e jour avant les calendes de novembre2 ». Pourtant, si quelqu’un, dans ce lieu particulier de la province romaine de Campanie, avait posé sa paume sur le sol sulfureux, vierge de toute végétation, une étrange chaleur lui serait parvenue, et ce, avant même, rappelons-le, que les premiers rayons d’Hélios ne dépassent l’horizon et se mettent à sécher la rosée. Impossible, donc, que cette chaleur vienne du haut. En réalité, elle venait du bas, des entrailles de la terre, lieu inimaginable pour les habitants de la région. « Les Champs Phlégréens (car c’est bien de cet endroit historique dont je parle) sont une des entrées du royaume d’Erèbe, c’est bien connu ! », vous aurait répondu n’importe quel citoyen d’une des villes avoisinantes…

1 Un sol stérile, désertique, parsemé de fumerolles, tel est l’aspect actuel des Champs Phlégréens(littéralement champs brûlants),comme vous pourrez les voir en prenant part au voyage…

 

             Un peu plus tard et non loin de là, Podarcis siculus, un lézard typique de la région, était sorti de sa fissure. D’un regard furtif, il inspecta les environs, à l’affût de quelque danger. Ayant finalement jugé les alentours comme sûrs, il se trouva un rocher et profita du soleil, levé à présent, pour réchauffer sa peau écaillée…

Soudain, une légère secousse le fit détaler, apeuré, vers les cyprès et les pains parasols…Mais ce n’était que bien peu de choses, un événement courant dans la région. Il continua sa promenade matinale et trouva refuge sur le dessus d’un promontoire, qui dominait la côte en contrebas… On pouvait apercevoir les villes d’Herculanum, de Pompéi, de Stabies,… uniques taches blanches dans une nature luxuriante digne des « eschatiai »3 les plus lointains… Surplombant le tout, une montagne curieusement conique, nommée mont Somma, découpait l’horizon campanien.

Et si la vue du reptile avait été encore plus perçante, il aurait distingué, dans chaque ville, outre la géométrie parfaite du plan des rues, une place noire de monde: le forum, élément central de toute cité romaine.

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Pompéi

Le forum avec en arrière plan le Vésuve

 

Un peintre, sur un échafaudage, était occupé à blanchir un bâtiment. Il avait commencé à travailler tôt ce matin, espérant recevoir sa paie sans tarder, pour aller dans un des très nombreux thermopolia de la ville, sortes de petits restaurants, où l’on pouvait manger chaud rapidement pour quelques as4… Il n’en sera pourtant pas ainsi, car une autre secousse, plus violente, projeta son récipient de chaux sur le sol, l’obligeant à descendre pour en rechercher, lui faisant perdre par la même occasion le temps qu’il avait prévu…

 

En retrait des agglomérations, se trouvaient des villae rusticae, de grandes propriétés rurales où la vigne, le blé, l’épeautre, les olives et tant d’autres denrées étaient allègrement cultivées, grâce à la fertilité surnaturelle du sol, qui semblait émaner de cette montagne qui ne leur voulait, à n’en pas douter, que du bien.3

Fresque représentant une coupe en verre remplie de figues. Oplontis, villa de Poppée

Conservées par les cendres, les fresques sont dans un état remarquable…

 

 

De ce fait, Pompéi était rapidement devenue une ville florissante, une seconde Rome, dédiée aux plaisirs.

 

Mais après plus de six siècles de prospérité, il était temps de rendre à César ce qui appartenait à César, il était temps que cette région entière qui narguait la caput mundi de par ses richesses, paie le prix de son insolence.

La punition divine qui allait suivre, nul oracle ou devin, nulle Pythie ou Sibylle, n’aurait pu la prédire… Qui aurait été suffisamment fou pour prétendre que ce serait par leur bienfaitrice que les dieux se vengeraient ? Que ce serait par la montagne responsable de toute leur richesse, que jaillirait le feu destructeur ? Et pourtant, Dieu sait que le vingt-quatre octobre septante-neuf, à la surprise de tous, tel est bien le terrible événement qui se déroula, pendant plus de deux jours, sur les côtes de la mer Tyrrhénienne…

Vers dix heures du matin, une série d’explosions sonnèrent, tels des cors, le début de l’enfer. Trois heures plus tard, le dôme du mont Somma explosait, révélant le Vésuve dans toute sa fureur. C’était une colonne de poussière de plus de cent-septante-trois stadae 5 qui s’élevait, menaçante, vers le domaine de Zeus. Cette fumée, poussée par Eole, se déplaçait inexorablement vers la région de Pompéi, et bientôt, il se mit à pleuvoir. Mais ce qui chutait de ces nuages noirs n’était pas de l’eau, comme on pourrait le penser. Ce qui tombait du ciel était beaucoup plus impressionnant et plus dangereux. C’était comme si Méduse avait pétrifié de son regard le ciel entier, cristallisant jusqu’à la dernière particule liquide : les gouttelettes qui déferlaient sur les toits pompéiens étaient faites de roche ; de la pierre ponce qui enterrait progressivement tout sous une couche grise et sombre. Irrémédiablement, la végétation disparaissait, faisant place à un univers de désolation.

 

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Corps pétrifiés trouvés dans le jardin des fugitifs, à Pompéi

 

Ceux qui n’avaient pas pu fuir furent asphyxiés dans leurs maisons, véritables tombeaux scellés par la roche volcanique. Ceux qui avaient pu fuir, mais trop tard, étaient morts étouffés, à cause des gaz toxiques, ou par une pierre un peu plus grosse qui leur avait fracassé le crâne. Enfin, ceux qui avaient pu s’échapper à temps, avaient, impuissants, assisté à la destruction de leurs cités respectives, attendant vainement les secours dirigés par un certain Pline l’Ancien, qui avait dégagé une flotte entière afin de tenter de réduire tant qu’il pouvait le nombre de trajets qu’effectuerait bientôt Charon vers les Enfers…

A peine dix heures avaient suffi pour faire disparaître tout un monde. Toute trace humaine était désormais invisible.

Avec les années, les villes recouvertes furent progressivement oubliées. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que, par hasard, ces vestiges d’une autre époque furent re-propulsés dans la mémoire humaine pour la première fois, après presque deux-mille ans d’absence, alors que de banals travaux étaient entrepris dans la région…

 

Aujourd’hui, de façon quelque peu surréaliste, la ville actuelle côtoie les ruines antiques, peu à peu déterrées. La civilisation a repris le dessus, à l’instar du Vésuve, qui lui, ne l’a toujours pas récupéré, perdu à jamais, depuis ce sombre jour d’automne.5

Villa d’Oplontis, résidence secondaire de Poppée, épouse de l’empereur Néron.

 

Si un jour vous entreprenez ce voyage, vous pourrez voir, à peine quelques mètres plus bas, sous les dépôts de cendres accumulées, faisant office de séparation entre le monde moderne et l’Antiquité, les cités, avec leurs bâtiments si bien conservés que plonger dans la peau d’un gladiateur, en plein combat, dans une arène, entouré de milliers de spectateurs, devient chose facile.

Si un jour vous partez en Italie du Sud, vous pourrez admirer les nombreuses villas, avec leurs fresques si détaillées, si bien préservées, que reconnaître les différentes espèces de plantes représentées devient chose aisée…

Défiant le temps, les temples, les théâtres, les œuvres d’art, n’attendent que vous. Les fouilles sont loin d’être terminées et, chaque année, de nouveaux espaces sont à explorer. Il y a quelques temps, on découvrit même une étrange coulée de chaux sur un mur, comme si le pot la contenant était tombé du haut d’un échafaudage et avait éclaboussé la bâtisse en-dessous…

Ces villes de la Campania Felix6 résonnent à nouveau de bruit, les pavés sont à nouveau foulés par des hommes, des femmes, des enfants, venant des quatre coins du monde connu. Ces villes revivent, certes autrement, mais elles vivent.

  1. 832 AUB (Ab Urbe condita), c’est-à-dire 832 ans après la fondation de Rome, soit 79 après Jésus Christ.
  2. Le 9e jour avant les calendes de novembre équivaut à notre 24 octobre.
  3. « Eschatai» : pays du bout du monde.

4 : Monnaie utilisée en ce temps à Pompéi. Un sesterce vaut 4 as. Un as vaut 0,19 € à Pompéi en 79 p.C.n.

  1. Un stade vaut 185,25 mètres. 173 stades valent donc environ 32 km.
  2. Campania Felix, Campanie « heureuse » : nom donné par les Romains à cette région.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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